Pierre Martelanche sculptait pour faire passer des idées destinées à ses contemporains, au monde rural qui l’entourait, mais aussi aux générations futures…
Ainsi, bien déterminé à transmettre des messages d’apaisement à une société choquée par les violences de la guerre et par les déchirures de classes, il entreprend de bâtir un édifice pour abriter ses œuvres.
N’allez pas imaginer une galerie aristocratique ; le vigneron roannais, homme modeste désigne comme son « Petit Musée » en réalité une maison de vigne en briques triangulaires, d’un modèle spécial qu’il moule et cuit lui-même.

Il pare la bâtisse d’un fronton décoré d’une ode à « Victor Hugau », et d’un linteau aux jambages habillés des quatre côtés de grandes figures féminines fêtant l’annonce de la paix ou, à l’opposé, pleurant sur la missive annonciatrice de la mort à la guerre.
À l’intérieur du Petit Musée, des sculptures enchâssées les unes dans les autres, comme des pièces montées, forment des colonnes décorées de reliefs finement ouvragés.
Afin de faire connaître son Petit Musée, Pierre Martelanche, à l’instar de Ferdinand Cheval, fit venir un photographe et commanda des cartes postales. Ces témoins historiques le montrent au travail, entouré de sa famille, dans des poses touchantes.
L’enjeu était bel et bien de faire visiter son musée, à l’entrée duquel est fixé un tronc pour recevoir les libres dons des visiteurs, dons destinés à la construction d’une école publique qui éduquerait les enfants de Saint-Romain-la-Motte et des deux communes voisines, Noailly et Mably. Soit un projet d’intercommunalité bien avant l’heure ! Mais comme l’a dit plus tard Marguerite Yourcenar, « C’est avoir tort que d’avoir raison trop tôt » : l’académie accepta ce projet mais aucune municipalité des trois communes ne le suivit.
C’est néanmoins ce désir de voir s’ouvrir des lieux rendant possible la filiation des valeurs lui étant chères qui le poussa pendant plus de vingt ans à façonner l’argile, à construire un four pour cuire ses réalisations, et à en faire un ensemble sculpté cohérent tant sur le plan des idées que sur celui du style.
Cette opiniâtreté et la singularité de son combat le feront passer pour un « illuminé » dans son village de Saint-Romain-la-Motte près de Roanne. Le voisinage paysan de l’époque maltraitant sa différence.
Ce rejet de la communauté proche pèsera longtemps, comme un héritage honteux, sur la descendance de Martelanche, expliquant par là même qu’un regard extérieur était nécessaire pour faire sortir l’autodidacte du secret familial. L’incompréhension de son époque engendra en effet l’indifférence des décennies suivantes…
Et les intempéries firent le reste. Le Petit Musée sombra sous le poids de l’oubli, subit les dommages causés par les jeux des enfants. Le temps et la vigne vierge le recouvrirent. Les rongeurs s’appliquèrent à creuser des galeries qui déstabilisèrent les colonnes. Et pourtant ! Il faut croire que l’argile locale est bonne et le sculpteur particulièrement habile, car, 90 ans après sa mort, son œuvre résiste encore, et vibrait d’autant plus intensément au moment de la découverte, comme l’attestent les photos prises lors de la découverte.
Des responsables politiques, des spécialistes d’art brut et du patrimoine visitèrent, pour la première fois, ce trésor enfoui. Les témoignages sont unanimes : il est urgent de rendre aux temps présents l’incroyable modernité d’une conscience qui émergea, aussi vigoureuse, des confusions du XXème siècle à ses débuts.
Un diaporama des œuvres dans l’état de leur découverte :
J’écoute France Culture et me suis précipitée sur internet pour voir votre site. Je suis vraiment très émue par ce travail et ce trésor. Monsieur Martelanche me réconcilie avec l’art brut. Je ne peux m’empêcher de penser au manège de petit Pierre en Bourgogne, qui s’inscrit dans un autre contexte, mais qui m’a touché tout autant par la force qui s’en dégage.